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Voyage au centre de la BD
18 novembre 2008

Le manga a une longueur d’avance

C'est en tout cas la conclusion que l'on peut tirer en sortant de la magnifique exposition organisée par la Bibliothèque nationale de France dans ses locaux de la rue Richelieu. Intitulée Estampes japonaises, Images d'un monde éphémère, elle présente au public 150 œuvres exceptionnelles appartenant à l'Ukiyo-e (littéralement, estampes12.1258289576.jpgestampes10.1258289623.jpgimages d'un monde flottant, par opposition aux images du monde sacré). La période Tokugawa (1603-1867) pendant laquelle cet art se développe est une ère de paix et de prospérité propice à toutes les audaces. Et c'est à Edo (aujourd'hui Tokyo), entre le quartier des théâtres et celui des plaisirs, que l'inspiration vient aux artistes.

La technique de estampes15.1258289669.jpgréalisation de ces estampes est simple et délicate à la fois. On plaque sur une planche de bois de cerisier une feuille transparente sur laquelle a été exécuté le dessin estampes04.1258289794.jpgestampes14.1258289720.jpg au pinceau et à l'encre de Chine. Puis un artisan, graveur sur bois, taille le bois à l'aide de ses outils (à gauche) en évidant les parties non dessinées. La planche ainsi taillée (à l'extrême droite) est encrée par la brosse de l'imprimeur. Il n'a plus alors qu'à y poser une nouvelle feuille de papier pour obtenir l'estampe définitive (à droite). A noter que pour les estampes polychromes, on utilise une planche par couleur (jusqu'à une quinzaine pour des dessins aux couleurs variées).

Pour l'amateur de bande dessinée, la contemplation de ces témoignages de la vie japonaise des XVIIIème et XIXème siècles est proprement stupéfiante. La modernité des techniques de représentation ne laisse aucun doute sur l'influence de ce patrimoine sur les mangakas contemporains. La contrainte de la gravure sur bois impose ce style simplifié immédiatement reconnaissable. Pourtant, cela n'empêche pas les dessinateurs de réussir à traduire les expressions les plus variées. Ainsi, un trait bien placé leur suffit pour illustrer certaines subtilités comme la méfiance ou la colère contenue.

La recherche picturale se reporte alors sur d'autres facettes du dessin, comme les cadrages par estampes13.1258289860.jpgexemple. Les gros plans, comme celui de Sawamura Sôjurô, un acteur du théâtre kabuki réalisé par estampes09.1258289899.jpgUtagawa Toyokuni  (à gauche), surprennent par leur originalité. Les compositions sont également très soignées. Dans "En allant admirer les cerisiers en fleurs à Kiyomizu-dô au temple Kan'eiji à Ueno", du même Toyokuni (à droite), les visages des femmes, presque tous tournés vers la gauche, donne un sens de lecture à l'estampe, j'allais dire la case.

Même souci pour la traduction du mouvement. Ainsi, comment ne pas estampes05.1258289939.jpgrester bouche bée devant cette "Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple Kiyozumi" (à gauche) ? estampes02.1258289982.jpgMe croirez-vous si je vous dis que ce dessin de Suzuki Harunobu date de 1765 ? Stupéfiant, n'est-ce pas ? Continuons avec la profondeur de champ. "Mishima. La brume matinale" (à droite), dessiné vers 1835 par Andô Hiroshige, est un modèle du genre. Regardez les arrière-plans : ils sont matérialisés en ombres chinoises pour faire ressortir le petit groupe placé au milieu de l'estampe. La lisibilité est parfaite. Un coloriste contemporain ne ferait pas mieux.

En fouillant bien dans les collections, on trouve même des effets particulièrement réussis. estampes07.1258290033.jpgOuvrons donc un recueil d'illustrations érotiques pour apercevoir à la dérobée un couple largement dénudé, croqué par ce petit sacripant de Toyokuni (à gauche). La magnifique moustiquaire qui occupe pratiquement la totalité de l'image, place un voile (presque) pudique sur des détails anatomiques, disons, un peu flatteurs. Mais peut-être que ce filet aux fines mailles n'est présent que pour mieux augmenter l'excitation du lecteur ? A chacun de juger. L'effet est en tout cas saisissant.

estampes17.1258290081.jpgAlors oui, le manga dispose d'une longueur d'avance sur la bande dessinée européenne. Et grâce à cette exposition, l'affaire est entendue. A une époque où le Suisse Rodolphe Töppfer (1799-1846, considéré comme l'inventeur de la bande dessinée et son premier théoricien) n'était pas encore né, le Japon posait déjà les bases des codes graphiques de ce qui allait devenir le 9ème art. On le voit bien à la lumière des descriptions de quelques spécimens, ces images éphémères pourraient presque être tirées de publications récentes. Et "Les feux des renards à la veille du Nouvel An sous l'arbre d'Oji", dessiné vers 1857 par Hiroshige (à droite) pourrait tout à fait en constituer la couverture.

Quant à cette mer tourbillonnante (à gauche) dessinée par Hiroshige, qui rappelle estampes01.1258290124.jpgévidemment la Grande vague de Kanagawa (à droite), première des 46 vues du mont Fuji réalisées par Hokusai (qui écrivit notamment une encyclopédie illustrée du Japon intitulée... Manga)estampes18.1258290167.jpg, n'a-t-elle pas tous les caractères d'une case de bande dessinée ? La stylisation des courbes, le dégradé de couleurs des vagues (il y aurait tant à dire sur le bleu de Prusse), les oiseaux si simplifiés et pourtant si réels, le mouvement de la mer comme décomposé. Comment croire que cette image date de 1853 ? Les repères sont brouillés, le passé télescope le présent jusque dans le nom de cette estampe, qui s'intitule... Les tourbillons de Naruto.

L'exposition Estampes japonaises, Images d'un monde éphémère est présentée à la BnF (58 rue Richelieu, 75002 Paris) du 18 novembre au 15 février 2009. Images : © Thierry Lemaire - BnF

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